Les maîtres anglais de l’Amiens A.C.

Après la Première Guerre mondiale, les grands clubs de football français engagent souvent des joueurs et des entraîneurs anglais. L’Amiens A.C. a participé à cette mode.

Depuis que le football a été introduit en Europe continentale par des Britanniques ou par de jeunes Français ayant fait leurs études en Angleterre, la France voue au football pratiqué par les Anglais une admiration sans borne. Sentiment justifié par le fait que les équipes françaises, de club ou de sélection, prennent régulièrement la leçon auprès d’adversaires britanniques qui ne sont pourtant, le plus souvent, que des équipes de second ordre.

Les défaites subies par l’équipe de France face aux amateurs anglais sont éloquentes: de 1906 à 1920, 7 matches opposent les deux équipes; elles se soldent par 7 victoires anglaises, 60 buts marqués par l’Angleterre, 1 seul par la France !

Depuis la Guerre, il est fréquent que les meilleurs clubs français engagent des joueurs et des entraîneurs anglais pour qu’ils viennent prodiguer leurs précieux conseils et améliorer le niveau du football français. Au début des années 1920, lorsque les dirigeants de l’Amiens A.C. ont voulu construire une équipe capable de rivaliser avec les grands clubs de Lille-Roubaix-Tourcoing, eux aussi se sont attaché les services de Britanniques.

Dans cette équipe de 1925-1926, 3 Britanniques: Sheldon et Adams (debout, aux deux extrémités), et Thompson (2e à gauche au premier rang).

Dans cette équipe de 1925-1926, 3 Britanniques: Sheldon et Adams (debout, aux deux extrémités), et Thompson (2e à gauche au premier rang).

J’ai déjà évoqué ici le passage éclair d’Eric Reginald Farnfield, un international amateur anglais qui joua quelques matches et marqua beaucoup de buts pour l’A.A.C. lors de la saison 1922-1923.

  • Robert Thompson: une science innée

Plus longues et fructueuses ont été les carrières à Amiens de Robert Thompson et de Sydney Sheldon. Dans un article récent consacré à la rue des Trois-Cailloux, j’ai présenté une image de Thompson, dans son bar. La photo date des années 1930, une époque où il ne jouait plus, sinon dans l’équipe de vétérans qu’il avait créée avec Henri Lambin.

Lors de son décès en  1949, le bulletin du club, « Azur et Noir », évoque sa mémoire et son parcours. Il y est dit que, « venu en France avec les armées alliées, il n’avait pas regagné l’Angleterre après l’armistice. »  Dans un article de presse de 1924, il est noté que Thompson est en Picardie depuis 1915.

Dans son ouvrage consacré aux grands joueurs d’Amiens (« Les grands noms de l’Amiens SC »), Lionel Herbet évoque une curieuse histoire, tirée d’un livre de 1991, que je n’ai pas pu vérifier jusqu’à présent. Thompson serait venu jouer à Amiens, attiré par les charmes d’une jeune fille du village de Chuignolles. Il est même dit que « le club s’est assuré le concours d’un certain nombre de sujets du sexe aimable » pour faire venir des joueurs, dont Thompson. Prenons cette version avec des pincettes… Le village de Chuignolles se situe au cœur de la bataille de la Somme en 1916, dans laquelle tant de soldats de l’Empire britannique ont trouvé la mort. Pourquoi ne pas croire que Thompson et Marie Léonie Devillers (dont j’ai trouvé le nom dans les recensements d’Amiens, aux Archives départementales) se sont connus à l’époque.

Dans un autre article du début de 1925, on précise que Thompson avait joué à Calais avant de venir à Amiens. Effectivement, dans les déclarations que les étrangers devaient faire en cas de changement de résidence (documents également consultables aux Archives départementales), on voit que Robert Thompson a quitté Calais pour Amiens en janvier 1922. Ce même document nous apprend qu’il est né le 17 août 1896 à Cammere (?) quand le recensement le dit né à Belfast.

Dans le texte du bulletin du club, rédigé à la mort de l’ancien joueur, on lit que Robert Thompson « avait une science innée du football qui en faisait un danger constant sur un terrain ». Dès son arrivée dans l’équipe, en 1921-1922, Thompson s’impose en effet dans un rôle d’attaquant, le plus souvent au poste d’inter. Le 7 mai 1922, il figure au sein d’une sélection des meilleurs joueurs des deux principaux clubs amiénois (l’Athlé et le Stade), qui affronte le F.E.C.Levallois de Gaston Barreau, sur un terrain aménagé à la Hôtoie.

Jusqu’en 1928, Thompson est un des atouts offensifs majeurs de l’équipe amiénoise. Il participe à la conquête de tous les titres obtenus par Amiens (champion du Groupe B en 1923, champion du Nord en 1924 et 1927), et à plusieurs épopées en Coupe de France (quarts de finale en 1928, huitièmes de finale en 1922 et 1926). Il est aussi sélectionné dans l’équipe du Nord et dans celle des « étrangers du Nord ».

  • Sydney Sheldon faisait courir la balle

Autre très bon joueur anglais à avoir porté les couleurs de l’A.A.C.: Sydney Sheldon. Le bonhomme était grand et sec, il dominait équipiers et adversaires, au milieu du terrain dont il occupait le centre. Il avait joué au Havre pendant plusieurs saisons. Il avait notamment participé à la belle carrière du vieux club normand lors de l’édition de 1921 de Coupe de France. Blessé, il n’avait pas participé à la finale perdue contre le C.A.Paris (1-2).

C’est en 1924 qu’il signa à Amiens, juste après l’obtention par le club du premier titre de champion  du Nord. L’Athlé avait fait un gros effort de recrutement cet été-là, qui laissait apparaître un faible respect des règles de l’amateurisme de l’époque. Comme d’autres nouvelles recrues, Sheldon s’était vu refuser, dans un premier temps, la licence A, qu’il fallait détenir pour jouer en équipe première. Je reviendrai un jour sur cette fameuse licence, instaurée pour tenter de lutter contre un professionnalisme déguisé.

Lorsqu’il obtint le document, en deuxième instance, Sheldon put prendre place au centre de la ligne de demis de l’A.A.C. Le trio du milieu de terrain qu’il forma alors avec Marcel Braun et Maurice Thédié allait constituer, pendant plusieurs saisons, la ligne de force de l’équipe.

Dans le compte-rendu d’un match contre le Stade Roubaisien (3-1), le 5 avril 1925, on lit ces belles lignes qui décrivent avec admiration la science du jeu de Sheldon, à partir des passes que lui adresse souvent Braun:

« [Braun] passe judicieusement à son ailier ou le plus souvent à son demi-centre, voulant certainement, par la même occasion, lui témoigner l’estime de l’élève à son professeur. Car c’est un véritable professeur que Sydney Sheldon. (…) Sans effort apparent et sans dépense inutile d’énergie, Sheldon entre en possession de la balle, il la mate, puis, après une feinte, la donne – le terme est bien exact – à l’équipier qu’il juge le mieux apte à en tirer le plus grand parti.

Le jeu de Sheldon est sobre et sans brutalité et de tous les joueurs qui ont opéré à Amiens – aussi bien dans le team de l’A.A.C. que dans les équipes visiteuses – c’est certainement l’actuel demi-centre amiénois qui s’est avéré comme le meilleur d’entre eux. »

Dans le livre Le football en Picardie, édité en 1948, le paragraphe qui lui est consacré corrobore ce commentaire de 1925:

 » Sheldon donnait l’impression de ne pas courir. Il courait tout juste le nombre de pas suffisants pour se bien place, pour intercepter les balles et les lancer ensuite, sans dribbles inutiles et épuisants, au partenaire démarqué grâce à une longue passe adressée le plus souvent aux ailes. (…) Sheldon a sa place dans le football picard car il révéla cet axiome:  »faire courir la balle au lieu de courir soi-même. « 

Sheldon jouera à Amiens jusqu’en 1927, date à laquelle il retournera au Havre. A Amiens, il a travaillé comme comptable chez Devred, le grand marchand de vêtements de la rue des Troix-Cailloux. En consultant les recensements de 1926, j’ai appris qu’il habitait, avec sa femme Charlotte et son fils Philippe, au 43 de la rue Camille-Desmoulins.

Ce fut un choc pour moi car j’ai passé de longs moments de mon enfance dans cette maison du quartier Henriville. C’est là qu’ont vécu mes grands-parents pendant un demi-siècle. Ils y avaient succédé à ce grand Anglais. Je ne l’ai appris que récemment, aux Archives départementales de la rue Saint-Fuscien. J’aime à penser qu’il y avait peut-être – caché au grenier ? dans la buanderie ? – quelque souvenir du grand Sheldon dans la maison de briques, si typique du style amiénois, et où j’ai si souvent jouer au ballon, contre le mur de la petite cour…

  • Amos Adams, « professeur de football »

Pas si loin de la rue Camille-Desmoulins, au 41, rue Jeanne d’Arc, a vécu un autre Anglais, qui arriva à Amiens la même année que Sheldon. Il fut le premier entraîneur professionnel de l’Amiens A.C. Il s’appelait Amos Adams. Le livre de 1948 signale qu’il avait été auparavant entraîneur à Bolton. Evidemment, l’information a plusieurs fois été recopiée par la suite. Si c’était le cas, ce ne devait certainement pas être dans le club professionnel des Wanderers car aucun site anglais ne le cite; à moins qu’il n’ait entraîné des équipes réserves ou de jeunes.

En revanche, le croisement de diverses sources m’a permis d’apprendre qu’il avait été footballeur professionnel au début du siècle. Amos Adams était né le 27 juillet 1880 à West Bromwich, près de Birmingham, où il est décédé en 1941. Un site consacré au club pro local West Bromwih Albion,  »Albion till we die », indique qu’Adams a joué pour WBA de 1899 à 1907. Il a disputé pour ce club 224 matches officiels.

Dans l’ouvrage de 1948, on lit qu’il donnait « ses cours le jeudi après-midi ». Le travail des entraîneurs de l’époque est mal connu, de même que le contenu de leur enseignement. Mon grand-père m’avait autrefois raconté qu’un entraîneur anglais faisait courir ses joueurs autour du terrain, en tenant une poignée de graviers dans la main. A chaque tour effectué par les joueurs, il jetait un caillou ! J’ignore s’il parlait d’Adams…

Amos Adams, en grande tenue d'entraîneur !

Amos Adams, en grande tenue d’entraîneur !

Dans le recensement de 1926, la profession d’Adams est précisée. Il est « professeur de football ». Son employeur est l’Amiens A.C. Il est donc bien enseignant-entraîneur professionnel. L’action de l’entraîneur est très rarement décrite dans les journaux de l’époque. Son nom n’est presque jamais cité. Les journalistes évoquent généralement les choix des dirigeants ou la tactique du capitaine.

Seules deux photos d’équipe sur lesquelles Adams est présent me permettent d’affirmer qu’il a entraîné Amiens de 1924 à 1926. En l’état de mes recherches, je ne peux pas affirmer qu’il était encore à Amiens lors de l’obtention du second titre de champion du Nord, en 1927.

Le livre de 1948, « Le football en Picardie » indique seulement que lors de la saison 1927-1928, l’entraînement est assuré par Georges Courbot: on en serait alors revenu à la situation précédant la venue d’Adams. Il est probable que le « professeur » Adams a été le seul entraîneur professionnel du club avant 1930.

Didier Braun

 

 

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