1931-1933: L’Amiens A.C. passera-t-il pro ?

D’abord opposé au football professionnel, l’Amiens A.C. a sauté le pas à l’issue de la saison 1932-1933.

Lors des débats sur l’instauration du professionnalisme dans le football français, à la fin des années 1920, les dirigeants de l’Amiens A.C. – qui avaient pourtant été plusieurs fois critiqués pour leur pratique d’un « amateurisme marron » – faisaient partie des opposants à la réforme.

Au mois de janvier 1931, alors que le Conseil national de la Fédération française vient d’adopter le statut professionnel, le président du club picard, le docteur Moulonguet, déclare au journal L’Auto du 20 janvier « qu’il ne sera jamais président d’un club professionnel« .

La semaine suivante, dans un éditorial en page sportive, Le Progrès de la Somme affirme à son tour son opposition et pronostique la faillite de la formule: « Que deviendront-ils [les clubs] quand ils seront embarqués sur la galère du professionnalisme ? Nous craignons fort qu’ils en « crèvent ». Ce n’est point nous, ici, qui leur enverrons regrets, fleurs, couronnes ! »

Un an plus tard, les deux vieux rivaux du football nordiste, l’Amiens A.C. et le R.C. Roubaix figurent parmi les grands clubs français qui refusent de passer professionnels. L’autre grand club nordiste historique, l’Olympique Lillois, a finalement choisi le nouveau statut après avoir marqué son opposition.

En 1932-33, pendant que se déroule la première saison du football professionnel français, Amiens participe au championnat du Nord des amateurs, lequel a perdu de son lustre d’antan avec le passage chez les pros de l’O.L., de Fives (qui a engagé l’international amiénois Ernest Liberati), de l’Excelsior de Roubaix (où joue désormais Célestin Delmer).

  • Le 10 juin 1933, l’A.A.C. devient professionnel

Privé de ces deux internationaux, ainsi que de Paul Nicolas et Urbain Wallet, désormais en quasi-retraite, Amiens se classe 5e du championnat remporté par Lens. Le public vient moins nombreux au stade Moulonguet. Fatalement, la question du professionnalisme se pose de nouveau au printemps 1933. Le 10 juin, dans une assemblée générale extraordinaire tenue à l’Hôtel de Ville sous la présidence du successeur de Moulonguet, le docteur De Butler, le club vote l’engagement dans le championnat professionnel, qui disposera d’une division 2 en deux groupes géographiques.

Les supporters du club espèrent le retour des grands moments qu’ils ont connus lors de la décennie précédente. Ils se demandent quels grands joueurs Paul Nicolas, promu à un rôle de manager, va dénicher pour renforcer l’équipe.

Pour l’heure, beaucoup des joueurs de l’effectif antérieur s’en vont: Viseur, Leroy, Grandsert, Masset parmi d’autres. Chez les Braun, la question se pose, ainsi que mon père s’en souvenait dans la préface de l’ouvrage de François Dubois, Naissance et essor du football à Amiens. Mon grand-père Marcel a alors 34 ans. Il ne se voit pas tenter l’aventure, qui changerait peu de chose à sa situation. Il continuera de jouer, en équipe réserve et disputera un match de championnat de division 2, le 12 mai 1934, contre le Club Français (6-1). En revanche, ses copains plus jeunes, Georges Taisne, Roland Balavoine, André Lapierre, Gaston Talairach, Pierre Illiet feront partie du nouvel effectif.

Dans son numéro du 10 juillet 1933, ces lignes du Progrès témoignent d’une certaine impatience du public:

« Toujours aucun joueur nouveau à signaler à l’A.A.C., aucune décision n’ayant été prise. Nous pouvons simplement dire que la majorité des joueurs qui ont demandé à venir à Amiens sont d’une très belle classe. (…) Encore un peu de patience et nous pourrons renseigner nos fidèles lecteurs, avides de connaître la future équipe professionnelle de l’A.A.C. »

Enfin, le 31 juillet, le Progrès annonce l’arrivée de dix nouveaux joueurs.

L’entraîneur qu’Amiens va engager est un grand voyageur du football européen. Avant d’atterrir à Amiens, le Hongrois Ferenc Konya a entraîné en Allemagne, en Estonie (pour les Jeux Olympiques de 1924), en Italie, en Suisse et en France (Mulhouse, Le Havre, C.A.Paris pour la première saison pro) ! Il ne restera que quelques mois en Picardie.

  • Neuf joueurs et un entraîneur étrangers !

Bientôt, un gardien polonais arrive, Israël Elsner. Au mois de décembre, Paul Nicolas se rendra à Prague pour négocier les arrivées de plusieurs joueurs tchécoslovaques. Les aller-retour de joueurs étrangers se multiplient, leur nombre n’étant pas limité dans l’effectif. Ils viennent tous d’Europe centrale. Lors de cette première saison, apparaîtront plus ou moins régulièrement en équipe professionnelle le Polonais Israël Elsner, les Tchécoslovaques Franz Nowak, Emmanuel Smejkal et Stejskal, les Autrichiens Otto Karpfel, Ernst Löwinger, Ondrej, le Hongrois Adalbert Hawlick, le Yougoslave François Niko.

Trois des recrues d'Amiens en 1933

Trois des recrues d’Amiens en 1933

L’aventure du professionnalisme commence alors. Après quelques bonnes mise en jambes contre Abbeville (4-4) et le Club Français (4-0), l’A.A.C. joue et remporte (4-2) le premier match officiel de sa carrière pro sur le terrain du Havre. L’équipe « historique » du 3 septembre 1933 se présente ainsi: Elsner — Balavoine, Lapierre — Chantrel, Löwinger, Hawlick — Louis Saint-Georges, Iliet, Talairach, Karpfel, Henri Saint-Georges.

En dépit de ce succès initial prometteur, l’Amiens A.C., ses dirigeants, ses supporters auront de nombreuses fois l’occasion de se poser la même question qu’au début de l’histoire: Faut-il, peut-on rester professionnels ? Après un premier abandon en 1937, puis un retour après la Libération, l’aventure se terminera définitivement en 1952. Jusqu’à la fusion de 1961, l’A.A.C. ne sera jamais plus professionnel.

Didier Braun

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